BRUXELLES, LA FETE





Il y a des traces, peintes sur le macadam, au centre de certaines rues de Saint-Gilles, des T avec, à côté, un chiffre, des traces pour moi cabalistiques, jusqu’au jour où j’ai compris que ces T indiquaient un emplacement de braderie. Il y a des braderies l’été dans à peu près dans tous les quartiers de la ville, des braderies qui vous obligent à faire des détours en voitures, des braderies sur lesquels souvent il pleut.

Il y a des baraques de plus en plus glauques dans la foire du Midi, à fur et à mesure que vous vous éloignez de la gare, de plus en plus glauques mais de plus en plus poétiques et tristes ; jadis, il y avait même une baraque de strip-tease avec des femmes laides, et une autre baraque où des semi-colosses un peu mou faisaient des combats ; toutes mon enfance j’ai attendu d’être assez fort pour relever le gant ; je ne l’ai jamais fait. Il y a des fêtes organisées, trop organisées. Il y a des fêtes sauvages et furieuses, douloureuses, les seules vraies fêtes de Bruxelles : les émeutes. Il y a un feu d’artifice dans le parc Royal, le 21 juillet ; une fois je l’ai vu depuis le croisement du boulevard Général Jacques et de l’avenue de la Couronne, au loin, alors que le soleil n’était pas encore couché ; bizarrement, c’est mon plus beau souvenir de feu d’artifice. Il y a des fêtes privées où les gens boivent des vins blancs infâmes dans des verres en plastique, dans des sous-sols. Il y a un défilé pour le Mardi gras, mais j’ai toujours réussi à le manquer ; je n’en ai vu que les cotillons maculant le sol, et des visages grimés d’enfants qui tenaient la main de leur maman. Il y a des géants, des Meiboom, des Omegang, des fêtes folkloriques qui pour moi ne signifient rien. Il y a des hurlements de bonheurs subits, la nuit, et des voitures qui klaxonnent, pendant les mariages et après les matchs de football. Il y a des fêtes marocaines qui durent toutes une semaine, et une fête pour la nouvelle années iranienne où je n’ai jamais osé aller, et aussi la fête du Têt, où mon frère, amené par notre ami Haw, saluait tout le monde en disant " Bonjour, monsieur Ngyen. " Il y a des repas de midi qui se terminent très tard, l’été, et on se sent tellement bien qu’on mange encore ensemble le soir, par exemple des petits os sur la place Bethleem. Il y a des nouvelles années où l’on va d’une fête à l’autre, et on arrive toujours trop tard ou trop tôt. Il y a les anniversaires surprises. Il y a des manifestations souriantes, avec souvent mon ancien professeur de mathématiques, monsieur Stein, au premier rang - très bon professeur de mathématique, d’ailleurs. Il y a des gens qui se rencontrent, qui n’osent pas se parler, qui se font des sourires polis. Il y a des fêtes qui se terminent. Il faut tout ranger, nettoyer, et aller dormir.