COMMENTAIRE
Cette pièce parle d’un village perdu dans les montagnes, en Iran. Cela peut vous sembler lointain et exotique. Méfiez-vous de l’exotisme. Il n’est pas nécessairement là où on l’attend ; il ne fonctionne pas nécessairement de la façon que l’on croit.
Je déteste l’exotisme. Je déteste le dépaysement. Je suis un piètre touriste. J’ai été trimballé d’un pays à l’autre pendant mon enfance. J’en ai gardé une nostalgie pour une vie stable, dans une habitation unique, dans un paysage immuable.
Je vivais en Iran depuis quelques mois et je me sentais atrocement déraciné. Tout me semblait étrange : le goût de l’eau n’était pas le même qu’en Belgique, la nourriture m’était incompréhensible, les visages des gens se confondaient.
Un jour, ma grand-mère nous fit préparer des frites. J’étais tout heureux : pendant un repas, j’en étais sûr, le dépaysement allait se résorber. J’allais mordre dans une frite et je serai de retour chez moi, dans notre maison, en face de la gare de Schaerbeek.
Mais les pommes de terre ne sont pas les même en Iran. Mais les huiles ne sont pas les même en Iran. Même la friture y est inconnue et même inconcevable. On nous servi des tranches d’une pomme de terre rissolées, dures, trempées par l’huile. Au final, rien n’était plus exotique, rien n’était plus dépaysant, que ces frites iraniennes. J’ai du me faire à l’idée que chez moi, dorénavant, c’était en Iran. Je dus apprendre à apprécier les sauces aux herbes, les yaourts aigres, les oignons crus, les gâteaux de riz odorants.
Depuis, je me méfie de l’exotisme. Avec " le Village Oublié d’au delà des Montagnes ", je vous demande de vous méfier avec moi. Cet exotisme est trompeur et cache, je le crains, un exotisme plus profond et plus dangereux : cette pièce, je le crains, parle aussi et surtout de la Belgique.
Oui, méfiez-vous. Dans le monde, d’autres exotismes atroces nous attendent pour nous piéger : des stoemps sri-lankais, des waterzooi inuits, des moules-frites de Patagonie, des faux Herves de Vladivostock, des maatjes singapouriens.
Méfiez-vous de l’exotisme : il n’est pas nécessairement là où on l’attend. Il ne fonctionne pas nécessairement de la façon qu’on croit.
Philippe Blasband